Procès Festina. Reprise des débats, hier, au tribunal de Lille. Jean-Louis Bessis : » Verbruggen est l’incitateur en chef du dopage « , l’Humanité, 31 octobre 2000.
Dans un entretien à l’Humanité, l’avocat de Willy Voet, l’ex-soigneur de Festina, ne mâche pas ses mots sur les responsabilités des instances sportives, notamment Hein Verbruggen, le patron de l’UCI. Ce dernier doit finalement venir aujourd’hui à la barre.
De notre envoyé spécial à Lille.
Coup de théâtre hier peu après 14 heures. Le président Daniel Delegove suspend les débats jusqu’au lendemain. Explication : le président de l’Union cycliste internationale, Hein Verbruggen, qui devait être entendu une bonne partie de l’après-midi, est absent, coincé à Manchester en raison des intempéries (1). Son avocat assure qu’il » sera bien là « , ce mardi matin à l’ouverture des débats, si le temps le permet. Dans les couloirs, Jean-Louis Bessis, l’avocat de Willy Voet, est intenable. Il a accepté de répondre à nos questions, en tête-à-tête.
La semaine passée, dans votre plaidoirie sur l’irrecevabilité de certaines parties civiles, vous considériez que les instances sportives étaient aussi responsables, sinon plus, que les prévenus de ce procès. Vous parlez de l’Union cycliste internationale, de la Fédération française de cyclisme et de la Société du Tour de France. Que leur reprochez-vous ?
Jean-Louis Bessis. Commençons par la vedette du jour, Hein Verbruggen, président de l’UCI. Le concernant, nous avons l’embarras du choix sur d’éventuelles qualifications pénales. On le sait maintenant : il est au moins co-auteur du faux certificat médical de Brochard aux championnats du monde à San Sebastian en 1997 ; par son opposition au suivi longitudinal des cyclistes, il est incitateur en chef – c’est le terme de la loi – au dopage ; mais aussi par la menace de destruction des urines congelées vraisemblablement positives. Dès le 15 novembre prochain ; il pourrait aussi être complice d’empoisonnement puisqu’on sait désormais que ces produits dopants peuvent tuer… Certains comparaissent en France pour cent fois moins que ça et si certains ministres se retrouvent aujourd’hui devant la justice, comment se fait-il que M. Verbruggen ne le soit pas ? Reçoit-il des protections à un haut niveau ? Je pose la question. Je crois qu’il commence – enfin – à avoir peur de la justice française.
Avec le témoignage des experts la semaine dernière, Hein Verbruggen peut-il dire à la barre : » Je ne savais pas » ?
Jean-Louis Bessis. Franchement je crois cela impossible. Mais ne perdons pas de vue que Daniel Baal, le président de la FFC, qui se désolidarise bien volontiers de l’UCI lorsque celle-ci est mal en point, est également vice-président de l’UCI… Pour ces instances-là, il s’agit de non-assistance à personne en péril, délit oublié par le juge d’instruction qui peut désormais être retenu. Le raisonnement est simple. Ces gens-là étaient-ils au courant qu’il y avait du dopage ? La réponse est » oui « . Ces gens-là avaient-ils des moyens pour le réduire ? La réponse est » oui « . Ont-ils fait usage de tous les moyens dont ils jouissaient pour s’y opposer ? La réponse est » non « . Donc non-assistance à personne en danger. Comme chefs d’inculpation, nous avons également : mise en danger de la vie d’autrui, complicité ou facilitation à l’incitation au dopage… ce dernier chef d’inculpation, d’ailleurs, si on l’a retenu contre Virenque, et d’autant plus si on l’a retenu contre Virenque, je me demande pourquoi on ne le retiendrait pas contre eux.
Et l’équipe Festina…
Jean-Louis Bessis. C’est un cas d’école. Ce sponsor est celui qui tire tous les profits des résultats sportifs, et Miguel Rodriguez, son grand patron, refuse de simplement venir témoigner à ma demande. Ce monsieur n’a pas le temps de venir à ce procès, il est trop pris dans ses paradis fiscaux… Pourtant Festina est un receleur du dopage, celui qui passe tous les contrats. N’oublions pas qu’il y a un terme terrible dans la loi, qui est » incitation « . Ce terme est tragique pour certaines personnes qui sont passées entre les mailles du filet. » Inciter « , c’est large et cela dépend du procureur de lui donner un sens ou un autre.
Notamment pas la non-action, la passivité ?
Jean-Louis Bessis. Oui. Mais n’est-ce pas aussi une incitation que d’être à l’affût d’une grande émission au cours de laquelle on va se réjouir et observer qu’un coureur est plus en forme en haut d’un col qu’en bas du col. Or, c’est bien parce qu’il est dopé et pas autre chose. Les commentateurs sportifs de la télévision le savent très bien, les dirigeants de la régie publicitaire de France Télévision le savent, eux aussi…
Si l’on suit votre démonstration, certains sponsors devraient aussi être présents au procès de Lille, en dehors du cas de Festina ?
Jean-Louis Bessis. Festina, c’est bien le moins… Effectivement, on croit rêver en voyant qu’il n’y a pas les patrons des deux autres équipes impliquées dans ce procès (la Française des Jeux et Once, NDLR). Il y manque toujours le maillon fort, le maillon numéro 1 : le chef ! Les chefs ne sont pas là, allez comprendre, les puissants sont absents de ce procès… Je n’ai pas les preuves pour accuser le procureur de les avoir épargnés délibérément, je remarque curieusement que les patrons ne sont pas là. On peut être patron sans être puissant, on peut avoir de l’argent sans être patron, mais là, il manque ceux qui ont l’argent, ceux qui sont patrons par leurs fonctions et ceux qui sont puissants par leur autorité : c’est étonnant, mais il ne manque que ces gens-là, seulement ces gens-là. Nous assistons donc au procès des manants. Les nantis, eux, sont au minimum absents, au mieux présents, mais du côté des parties civiles, comme victimes ! Mais victimes de quoi ? De ce point de vue, c’est un procès qui marche sur la tête. Cela est insupportable, inacceptable.
Maître, nous sommes nombreux à reconnaître ici que le président Delegove fait remarquablement bien son travail. Les faits sont têtus désormais : le dopage existe, massivement, partout. Considérez-vous que le président se trouverait en contradiction avec ces faits si l’UCI sortait de ce procès les mains dans les poches ?
Jean-Louis Bessis. Pour moi, il y a deux cas au-dessus des autres : le patron de Festina, Miguel Rodriguez, et le patron de l’UCI, Hein Verbruggen. Je le dis clairement : si le procureur ne nous annonce pas son intention d’engager des poursuites contre ses gens-là, au moins à l’issu du procès, on pourra se poser de sérieuses sur la volonté de justice. À cet égard, Richard Virenque a au moins un mérite au plan procédural : il a montré que la passerelle du statut de partie civile au statut de prévenu, est parfaitement possible.
Entretien réalisé par Jean-Emmanuel Ducoin
(1) Il assistait aux championnats du monde sur piste.