Le bal des hypocrites chez les « sages », Le Monde, 18 février 2010.

Le bal des hypocrites chez les « sages »

« A travers quelques récentes décisions spectaculaires, Hadopi ou taxe carbone, le Conseil constitutionnel est parvenu à faire oublier que dix de ses onze membres étaient issus de l’actuelle majorité. Dans quelques jours, leur nombre passera à onze. Jusqu’alors, par le jeu de l’alternance, l’institution était pluraliste, à des degrés divers.

Au printemps verra le jour une réforme très attendue : la saisine du Conseil constitutionnel par les justiciables. A droite comme à gauche, on applaudit une avancée démocratique. Dorénavant, chacun aura la possibilité de contester une loi déjà entrée en vigueur qu’il estimerait contraire à la Constitution. Ces nouvelles prérogatives seront exercées par une assemblée strictement monolithique, pour la première fois depuis vingt-sept ans.

On objectera que le chef de l’Etat et les présidents des deux Assemblées ne nomment pas que des militants au Conseil. Que ses membres n’endossent pas nécessairement les positions de l’autorité à laquelle ils doivent leur désignation. Que chevronnés, voire en fin de carrière, il peut même leur arriver de se montrer indépendants. Il reste qu’une autorité dont la raison d’être est l’indépendance ne saurait être monocolore.

Le départ prochain de Pierre Joxe est tout sauf anodin ; même marginalisé, l’ancien ministre socialiste de l’intérieur représentait un scrutateur, une sentinelle. Désormais, l’instance aura perdu son ultime témoin et garde-fou ; on y sera enfin entre soi. La consanguinité, on le sait, favorise les connivences. La presse rapporte régulièrement, sans jamais avoir été démentie, que l’exécutif consulte officieusement certains membres du Conseil. Il l’a fait, encore tout récemment, à propos du mode d’élection des conseillers territoriaux.

Connivence, encore : on se souvient peut-être d’un des épisodes de l’examen de la loi relative aux droits d’auteur. Le 21 décembre 2006, contre toute attente, l’Assemblée adopte un amendement contre l’avis du gouvernement. Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, téléphone préventivement au ministre compétent pour l’alerter sur l’inconstitutionnalité de la procédure parlementaire. En violation du serment qu’il a prêté : « Ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence du Conseil. »

Dissidence ponctuelle

Bal des hypocrites. Plusieurs figures du parti présidentiel s’en prennent, depuis quelques jours, avec une violence inaccoutumée au Conseil constitutionnel. Un ministre de la République pointe l’absence de débat contradictoire, l’interdiction pour les « sages » de publier une opinion juridique dissidente, l’archaïsme que constitue la présence des ex-chefs de l’Etat. Autant de critiques tout à fait justifiées. Naturellement, les responsables de la majorité se gardent bien de suggérer une réforme de sa composition.

Ajoutons un « imprévu » : Nicolas Sarkozy se flatte d’avoir, par la révision constitutionnelle de 2008, soumis les nominations à l’avis des commissions des lois de chaque assemblée, celles-ci pouvant s’y opposer à une majorité des trois cinquièmes.

Il reste que le Parlement n’a toujours pas trouvé le temps de voter la loi organique qui en conditionne la mise en oeuvre dix-huit mois après son adoption. De sorte que ce verrou, pourtant bien modeste, pourrait ne pas concerner les trois prochains « sages ». On aurait voulu pouvoir désigner n’importe qui qu’on ne s’y serait pas pris autrement.

Le renouvellement triennal de 2010 suscite plus d’intérêt que ceux de 2007 ou 2004. Plus que jamais, les nominations s’annoncent politiques. Nicolas Sarkozy osera-t-il, dans le silence des textes, écarter Jean-Louis Debré de la présidence, pour cause de dissidence ponctuelle ?

Si un Conseil constitutionnel chiraquien inflige des camouflets à son camp, on préfère ne pas imaginer ce qu’un Conseil chiraco-sarkozyste fera endurer à la gauche ! Mesure-t-on que c’est ce Conseil constitutionnel « nouveau cru » qui sera le juge de la prochaine élection présidentielle et des législatives ; qu’il sera l’arbitre suprême en cas d’élections serrées ? Si elle revient aux affaires en 2012, la gauche devra patienter jusqu’à février 2013 pour disposer de deux sièges rue Montpensier. Ce n’est qu’en 2016, en fin de mandat, qu’elle y conquerrait une minorité significative de quatre membres.

En somme, sauf deux victoires consécutives de la gauche à la présidentielle comme aux législatives, ou basculement à gauche du Sénat, la droite est assurée de conserver sa mainmise sur la clé de voûte de notre démocratie. »

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