« Le Point » a publié un rapport exclusif sur les dépenses du barreau de Paris. Mes réactions Propos recueillis par Mélanie Delattre.
Avocat à Paris depuis XX années, vous avez été candidat au bâtonnat à trois reprises. Que vous inspire la lecture du rapport publié par le Point retraçant les dépenses d’honoraires de l’Ordre depuis 2009 ?
Ce rapport confirme, étaye et documente ce que j’avais eu l’audace de dénoncer : le train de vie fastueux du Conseil de l’Ordre, les attributions féodales du Bâtonnier et notamment l’usage pernicieux consistant à distribuer discrétionnairement avantages, postes et honoraires.
Etes-vous surpris par les montants en jeu, que l’on parle des honoraires des Bâtonniers successifs ou des frais engagés pour des missions auprès de cabinets extérieurs, vous qui vous étiez engagé au cours de vos différentes campagne à « réduire le train de vie de l’Ordre » ?
Non. J’ai vu flamber au fil des années le poste « honoraires avocats » du budget du Conseil de l’ordre. Il a été multiplié par trois en douze ans, passant 1,506 036 en 2003 à 4 751 232 € en 2015. Alors que le budget du Conseil de l’Ordre progressait de 85 % en douze ans, le poste « honoraires » a crû de 233 %.
En tant qu’ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats, pouvez vous nous expliquer à quoi correspondent ces dépenses dites « d’honoraires », qui s’élèvent chaque année à plusieurs millions d’euros ? Quels types de missions l’Ordre est-il amené à déléguer à des avocats ou à cabinets ?
Une partie de ces dépenses correspond, fort heureusement, à des missions réelles, liées au fonctionnement quotidien de l’Ordre. Une autre partie a permis aux Bâtonniers successifs de s’assurer le soutien de notables et de nouer des fidélités. En toute opacité.
A votre connaissance, le bâtonnier décide-t-il de façon discrétionnaire de l’affectation de ces missions et du montant auquel elles seront payées, ou agit-il dans un cadre collégial ?
Oui. Sans appel d’offres ou mise en concurrence.
Si chaque Bâtonnier distribue postes et missions à ses proches, il est aussi contraint (par coutume et par prudence) de continuer de rémunérer les alliés et les fidèles de ses prédécesseurs. Cette logique est inflationniste.
A quel type de travaux correspond le terme de « missions non régaliennes », qui revient souvent dans le document ?
Aucune idée. Il s’agit probablement de missions qui sortent complètement du champ de compétences du Bâtonnier.
Comprenez-vous la distinction faites la répartition des dépenses entre « permanents » et « temporaires »?
J’imagine que les « permanents » sont ceux qui dirigent les services réglementaires tels que la déontologie, la tenue du tableau ou les séquestres. Quant aux « temporaires », ils exercent ponctuellement des missions pour la fixation des honoraires ou les arbitrages entre confrères, pour la formation des avocats, ou pour ou encore dans le cadre de consultations plus spécifiques. Certains le font avec dévouement. D’autres moins.
Un peu de transparence sur la réalité de ces missions et sur la grille de rémunération ne peut pas nuire.
Étiez vous pour votre part rémunéré en honoraires lorsque vous étiez élu du Conseil de l’Ordre ?
Vous plaisantez ? Jamais. En aucune façon.
Ce rapport est une pièce émanant du dossier de défense de l’actuel Bâtonnier Frederic Sicard dans un litige qui l’oppose à vous. Vous êtes donc l’homme qui aura permis de dévoiler au grand jour ces chiffres tenus secrets, mais aussi celui par qui le scandale arrive. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Ne craignez-vous pas d’affaiblir l’Ordre parisien alors que se profile l’élection du « bâtonnier des bâtonniers », supposé revenir cette année à Paris ?
Je n’ai strictement rien dévoilé. Je suis loin d’être le seul destinataire et encore moins le seul détenteur de ce rapport.
J’avais fait de la moralisation des instances ordinales de Paris l’axe central de mes candidatures. La publication de ce rapport va contraindre le Barreau Parisien à revoir son mode de fonctionnement monarchique.
Le litige qui vous oppose au bâtonnier Sicard porte sur la rémunération d’un rapport qu’il vous a commandé pour le compte de l’Ordre. Vous lui réclamez le paiement de ce qu’il vous doit pour ce travail, considérable selon vous. Dans un communiqué daté du 29 août, l’Ordre s’est ému de la somme que vous réclamiez. Avez-vous l’impression qu’il existe une dualité de traitement selon que l’on est dans les petits papiers du bâtonnnier ou non ?
Il y a pire.
10 % du budget annuel, financé par les 30 000 avocats parisiens, est reversé à une poignée de notables et de proches. C’est une forme de redistribution, mais à l’envers.
Le point : « Barreau de Paris : Ce document confirme les attributions féodales du bâtonnier »