Conseil constitutionnel : partialité à tous les étages

Conseil constitutionnel : partialité à tous les étages

Libération
Rebonds, lundi 5 septembre 2011, p. 23

Dans l’euphorie qui a précédé l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), on ne s’est pas suffisamment interrogé sur l’aptitude du Conseil constitutionnel à assurer ses missions de manière impartiale. La QPC soulevée dans l’affaire Chirac, et sans laquelle le procès aurait pu démarrer six mois plus tôt, a jeté une lumière crue sur le fossé qui sépare le Conseil constitutionnel des standards européens.
Dès lors que le Conseil détient des prérogatives de juge, il se doit de présenter les garanties inhérentes à toute juridiction; à commencer par le principe d’impartialité, fermement établi par la Cour européenne des droits de l’homme. Au lieu de quoi, il réussit le tour de force d’illustrer toutes les facettes de la partialité : vassalité; juge et partie; monolithisme.
Vassalité. Imaginons que la Cour de cassation ait fait le choix de transmettre la «QPC Chirac» au Conseil constitutionnel. Jacques Chirac et Jean-Louis Debré avaient déjà fait savoir qu’ils s’abstiendraient de siéger : c’était bien le moins. La probité aurait commandé à plusieurs autres Sages de se déporter également, du fait de leur carrière, des fonctions occupées auprès de Jacques Chirac, des nominations qu’ils lui doivent. En somme, le Conseil n’aurait eu d’autre choix que de se déconsidérer en siégeant ou de se déporter dans sa quasi-totalité. En un sens, c’est une véritable crise que la Cour de cassation aura épargnée au Conseil constitutionnel en ne lui transmettant pas.
Bien au-delà du cas Chirac, ce n’était pas la première fois (ni la dernière) qu’une question prioritaire de constitutionnalité plaçait la rue Montpensier en difficulté.
Juge et partie. La présence au sein du Conseil d’anciens présidents, de parlementaires ou de hauts fonctionnaires aurait normalement dû rendre impraticable la QPC : celle-ci les expose à se prononcer sur des lois qu’ils ont, dans leurs fonctions antérieures, inspirées, initiées, votées ou co-rédigées. En somme, elle les invite à être juge et partie. Exemple : le 16 septembre 2010, le Conseil constitutionnel examine la constitutionnalité d’une loi de 2003 imposant de se soumettre à un prélèvement ADN. Parmi les neufs membres du Conseil constitutionnel prenant part à la décision, cinq avaient déjà eu à se prononcer sur la question : Michel Charasse et Hubert Haenel au Sénat, Jacques Barrot et Jean-Louis Debré à l’Assemblée nationale, enfin Pierre Steinmetz, directeur du cabinet du Premier ministre de l’époque et co-rédacteur du projet de loi.
Le principe d’impartialité aurait commandé qu’ils s’abstiennent de se prononcer, ce qu’aurait fait n’importe quel magistrat. Au risque de ne pas atteindre le quorum de sept membres sans lequel une décision ne peut être rendue.
Qu’à cela ne tienne : le Conseil constitutionnel avait pris les devants dès le 4 février 2010 en n’hésitant pas à introduire dans son règlement intérieur une disposition sur mesure : «Le seul fait qu’un membre du Conseil constitutionnel a participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation.»
C’est ainsi, au prix d’un coup de force procédural, que le Conseil constitutionnel a cru pouvoir concilier sa composition politique avec la QPC, sacrifier les standards européens pour sauver la réforme.
On est loin, bien loin, des codes de procédure qui régissent avec soin le fonctionnement d’une juridiction.
Qu’en pense Guy Canivet qui a renoncé à son poste de premier président de la Cour de cassation pour celui de simple membre du Conseil ?
Monolithisme. Le caractère politiquement monocolore du Conseil constitutionnel suffisait déjà à poser la question du procès impartial.
Mesure-t-on que le Conseil est aussi le juge des élections présidentielles et législatives; qu’il sera l’arbitre suprême en cas de scrutins serrés ? Etc.
Au final, la «QPC Chirac» aura eu le mérite d’attirer l’attention sur le caractère très inachevé de la mutation d’une instance politique en une véritable juridiction. On comprend les réticences immédiatement exprimées par la Cour de cassation à l’égard de la réforme. En instaurant la QPC sans avoir préalablement modifié la composition du Conseil constitutionnel, dépolitisé son mode de désignation et professionnalisé son mode de recrutement, on aura imprudemment mis la charrue avant les bœufs.